La peur nous fait peur et c’est une erreur, car elle est essentielle à notre survie, assure le philosophe et hypnothérapeute François Roustang. Pour la surmonter, il nous encourage à faire corps avec elle.
Psychologies : Qu’est-ce qui provoque la peur ? François Roustang : Un danger, soit réel, soit imaginaire. Elle apparaît quand un événement est imprévu. Cet imprévu peut faire irruption dans le présent : quelque chose a lieu que nous n’attendions d’aucune façon. Mais il peut aussi concerner le futur : nous attendons quelque chose que nous ne connaissons pas encore, mais que nous redoutons. Ce qui déclenche la peur, c’est le manque de temps pour réagir à une situation nouvelle et trouver les moyens d’y faire face. Comment la définissez-vous ? F.R. : Elle est d’abord et avant tout une manifestation du corps.
Prenons un exemple : quelqu’un que je n’avais pas vu passe à côté de moi brusquement. Face à ce danger potentiel qui me déconcerte, une réaction élémentaire surgit en moi et, généralement, je sursaute. Cette réaction physique, nous la partageons d’ailleurs avec tous les animaux, contrairement au rire et aux larmes. C’est une alerte parfois fondamentale pour notre survie. Elle est tout de même considérée comme une émotion négative. Qu’en pensez-vous ? F.R. : Ce n’est là qu’un aspect, et pas le plus intéressant. Notre peur peut être quelque chose de très précieux. Elle réveille notre vigilance. Elle nous signale que nous sommes repliés sur nous-même, que nous sommes en train d’oublier ce qui nous entoure. L’imprévu, le hasard, qui font le sel de notre existence, suscitent bien des craintes, et ces dernières sont utiles parce qu’elles nous incitent à toujours rester en éveil. La peur est une forme d’injonction à l’attention. Une manière de nous dire : « Quelque chose t’arrive et tu n’as pas été vigilant. Tu n’as pas à ta disposition l’ensemble des données de ce qui se passe. Regarde autour de toi. » Bien utilisée, elle nous incite à agir, afi n de pouvoir naviguer et mieux appréhender l’inconnu Pourtant, elle nous paralyse… F.R. : Il faut considérer ses moments successifs. Oui, elle paralyse dans un premier temps. Elle nous fige, et l’on pourrait penser qu’il faut essayer de sortir de cette angoisse. Eh bien, je pense que c’est exactement le contraire ! Notre peur dure quand nous essayons de la limiter, de l’oublier ou de nous en débarrasser. Lutter contre, c’est toujours renforcer ce contre quoi nous luttons. Dans ces moments-là, nous perdons nos moyens. Nous devenons alors incapables de retrouver le sens de ce qui nous environne parce que nous nous focalisons, nous nous bloquons sur notre angoisse elle-même. Que faire alors ? F.R. : Laisser tomber. Laisser notre corps épouser l’émotion qui nous saisit. Ne pas chercher à la chasser, mais lui donner toute la place. Il faut l’investir, y entrer complètement. Prenons le cas de quelqu’un qui vit dans la crainte de perdre son travail, je lui dis : « C’est très bien. Installez-vous dans cette peur, tout entier, de la tête aux pieds. » Il ne s’agit pas d’accepter de l’éprouver ni d’être passif. Ce doit être une opération mentale volontaire, qui consiste à «devenir» votre peur, à la laisser pénétrer dans tous les pores de votre peau, à aller jusqu’au bout de ses hypothèses les plus terrifiantes : « Sans travail, je vais me retrouver seul. Ma femme me quittera. Je serai sans toit. Je finirai dans la rue. Je deviendrai clochard. » Si je joue ce jeu-là à fond, alors je vais épuiser toutes les probabilités les plus folles, et ces dernières disparaîtront pour céder la place à une action mesurée et proportionnelle au risque qui me menace. Tout cela est très théorique… F.R. : Pas du tout. Il s’agit au contraire de ne pas intellectualiser. Récapitulons. Premier temps : j’ai peur. Deux possibilités : soit j’observe cette peur, je me fixe dessus, je cherche à en sortir comme on nous le conseille parfois. Erreur ! Soit je me laisse gagner par elle. Je fais comme si elle était la seule chose intéressante au monde et je me dis : « Vas-y ! Ne pense pas. Ne raisonne pas. Imagine le pire. Explore les recoins les plus sombres de ta crainte. »
Mais ce n’est pas une sensation agréable !
F.R. : La question n’est pas de savoir si la méthode est agréable ou désagréable, mais si elle est efficace. La peur est une réalité : comment la surmonter ? Nous devons l’habiter, complètement, de toute notre âme, de tout notre cœur. C’est un peu comme un courant marin. Il ne sert à rien de batailler contre lui. On s’épuise en vain. Il faut apprendre à naviguer avec lui. La peur est comme une frontière à passer, comme une étape à franchir. Si nous la traversons, alors nos champs d’intérêt et les rapports que nous entretenons avec le monde, avec les autres, s’en trouveront décuplés.
** Trois exercices pour se rassurer **
Éric Champ, analyste psycho-organique et codirecteur de l’Efapo (École française d’analyse psycho-organique - www.efapo.fr), nous livre quelques idées pour ne pas se laisser manipuler par nos peurs irrationnelles. « Tout ne s’explique pas, ne se règle pas par la tête. La première chose à faire est de réapprendre à sentir son corps. - Pour y parvenir, vous pouvez vous mettre en position assise : prenez conscience du contact de vos pieds avec le sol, laissez votre corps s’appuyer sur le siège, le support qui vous accueille, vous retient, vous porte. Puis fermez les yeux pour vous relâcher : il s’agit de ne plus être en état d’alerte, de contrôle de son environnement, et de se centrer sur soi. Ensuite, concentrez-vous sur votre respiration et essayez de faire descendre votre énergie, de respirer par le ventre et d’allonger un peu plus qu’à l’ordinaire l’expiration. Souvent, nous utilisons uniquement notre respiration thoracique. Or, c’est elle qui concentre toutes nos émotions, qui les condense autour de notre plexus solaire. La respiration ventrale est une respiration dite vitale. Elle nous apaise et nous rassure en nous aidant à reconnecter vitalité, détente et plaisir. - Il est aussi possible de vous calmer en marchant. Il faut pour cela vous concentrer sur le contact de vos pieds sur la terre, sur le rythme que votre corps impulse, le bercement profond que vous ressentez. - Enfin, vous pouvez utiliser des images qui ont un sens symbolique pour vous. Elles ont un effet remarquable sur le corps. Rien à voir avec les photos sur papier glacé des magazines ; il s’agit de réactiver des souvenirs heureux, des moments au cours desquels vous avez eu la sensation d’avoir obtenu quelque chose de la vie : une nage dans la mer, une conversation légère et heureuse dans l’herbe, juste avant un coucher de soleil… Ces instants d’éternité vous feront retrouver ce qui vous est essentiel et vous aideront à vous détacher de votre angoisse. »
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